A propos du toponyme 'Raffort'(2010).
 
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Si on recherche dans différents livres consacrés à la toponymie le sens du mot 'Raffort' ou 'Rafour', on trouve toujours la même explication pour sa définition : Ainsi H. Jaccard, dans son "essai de toponymie de la Suisse romande", écrit : "raffort", "raffour", "rafour", "rafornet"... du v. fr. rafour, four à chaux, mot encore usité dans tout le sud'est, Alsace-Dauphiné, du bas latin refurnus, raffurnum (Ducange), du celtique 'ra', chaux, et du bas latin 'furnus', 'four'.

Cette interprétation a été reprise en 1935 par A. Gros dans son "Dictionnaire Etymologique des Noms de Lieu de la Savoie". Tous les toponymistes actuels la confirment, qu'il s'agisse de H. Bessat et C. Germi dans "Lieux en mémoire de l'alpe" ou de H. Suter dans son site de toponymie romande. Cette explication est encore confortée lorsqu'on voit passer les camions bétonnières de l'Entreprise Rafort, de Passy.

Un four à chaux est un four destiné à transformer le calcaire en chaux sous l'action du feu (pyrolyse). Nous pouvons prendre pour exemple celui existant encore au 'Clos Bottin', à Sallanches, près de la cascade d'Arpenaz, déjà présenté dans le N°20 de NPPS. De forme légèrement conique, il comporte une paroi externe (parement et sable isolant) très épaisse de 2 à 3 m vers sa base. Les intempéries l'ont ouvert et l'image ci-contre montre sa paroi interne constituée de briques. Les chauffourniers le chargeaient par la gueule supérieure en alternant couches de pierres calcaires et de charbon. On comprend son implantation au lieu-dit 'La Rippaz' (et non 'Le rafour') du fait de l'existence en amont d'un calcaire adéquat et de la présence de la mine de charbon d'Arâches. Le chaufournier devait toujours maintenir une température de 800 à 1 000 degrés, tout en gardant le four rempli au maximum, en le réapprovisionnant sans cesse en calcaire et charbon. Le bois ne servait qu'à allumer le four.
Sous l'action de la chaleur, le calcaire perd du dioxyde de carbone conduisant à la formation de chaux vive. Celle-ci est récupérée au bas du four, puis 'éteinte', hydratée, à l'aide d'eau, pour obtenir la chaux éteinte utilisée en maçonnerie. Avec le temps et sous certaines conditions d'humidité, elle récupère du dioxyde de carbone, se transformant ainsi en calcaire (voir sur l'image co-contre agrandie, les étapes chimiques.
j'ai parcouru de nombreux lieux dénommés 'Rafort' ou 'Rafour'. L'image du début de l'article présente l'un de ces lieux, 'Les Raffours' de Magland, difficilement photographiables du fait de son reboisement. La carte géologique indique que la roche sous-jacente, du calcaire bérriasien ('Crétacé inférieur') comme à 'La Rippaz', est recouverte de dépôts morainiques. Aucune trace de four et d'extraction minière ne sont décelables. En revanche, les parties reforestées comportent quelques petits 'perri', tas de peirres, correspondant à l'accumulation de celles ôtées par des générations de paysans pour améliorer le sol. On peut faire la même remarque pour 'Les Raforts' situés sous Mayères, à Sallanches, si ce n'est que la roche sous-jacente correspond aux 'Terres Noires' du Jurassique supérieur, appelées ainsi du fait de leur richesse en argile et pauvreté en calcaire. De tels emplacements ne 'collent' donc pas avec l'existence ancienne d'un four puisque manque la matière première essentielle.

Enfin, l'image finale présente le cas le plus emblématique, celui du 'Raffort' de Chamonix. Des rochers gneissiques et des éboulis forment son substrat géologique, c'est-à-dire des roches totalement dépourvues de calcaire. Les chamoniards de l'époque étaient-ils si peu raisonnables pour avoir construit un four dans un lieu privé de matière première et soumis aux avalanches ('Les Lanches' jouxtent l'endroit) ? Encore une fois, une interprétation qui "ne colle pas" avec le site !

En relisant le Lexique de l'Ancien Français de Frédéric Godefroy, on remarque qu'après le mot 'rafour' vient le verbe 'rafourer' qui veut dire "donner le fourrage aux animaux". Voilà peut-être l'origine de la confusion entre 'un rafour' ou 'raffort', lieu comportant un four à chaux et un lieu abritant un pré de fauche. De plus, les patronymes correspondants existent, et certains de ces lieux ne doivent leur appellation qu'à l'existence d'anciennes propriétés dénommées par le nom de leur propriétaire.